Contrôle de l’activité des salariés et RGPD : règles, limites et bonnes pratiques
Assurer la sécurité des données tout en respectant la vie privée des salariés est un équilibre délicat. Voici les règles à connaître pour mettre en place un contrôle efficace et conforme.
Le contrôle de l’activité des salariés peut se justifier par deux raisons :
- D’une part, afin de limiter les risques d’abus d’une utilisation trop personnelle d’internet par les salariés impactant de fait leur efficacité
- D’autre part, afin de préserver la sécurité des données et d’éviter toute fuite de données qui serait préjudiciable à l’entreprise comme aux salariés
Ce dernier point relève en effet d’une obligation imposée par l’article 32 du RGPD : la sécurité des données personnelles. En effet, les ressources informatiques utilisées par les salariés constituent des sources majeures de vulnérabilité face aux risques de contaminations et d’intrusions malveillantes. Une fuite de données peut donc parfaitement trouver son origine dans la négligence d’un salarié, par exemple lors de l’utilisation de sa messagerie professionnelle.
La mise en place d’outils de cybersurveillance est donc nécessaire afin d’assurer la sécurité des données personnelles. Cependant, la mise en place de tels dispositifs doit se faire en adéquation avec les dispositions du Code du Travail et la réglementation relative à la protection des Données Personnelles pour que le contrôle puisse s’exercer dans le strict respect des droits des salariés.
Afin de concilier vie privée des salariés et sécurité des données personnelles, EQS Group vous propose de revenir sur les règles applicables en matière de contrôle de l’activité.
L’encadrement par le droit du travail
Le Code du Travail dispose que :
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » 1.
Ce principe de respect de la vie privée des salariés doit donc guider l’employeur dans la mise en place des outils de contrôle. De fait, l’employeur a plusieurs obligations :
- Obligation de loyauté : L’article L. 1222-4 du Code du Travail dispose qu’aucune information concernant un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’aurait pas été porté à la connaissance de ce dernier. Par conséquent, l’existence de tels dispositifs doit obligatoirement être portée à la connaissance des salariés.
- Obligation d’information et de consultation des instances représentatives du personnel : L’article L. 2312-38 al. 3 du Code du Travail impose à l’employeur d’informer et de consulter le CSE préalablement à la mise en œuvre de tout dispositif permettant un contrôle de l’activité des salariés pendant le temps de travail.
En outre, la Cour de cassation est allée plus loin que le Code du Travail dans un arrêt du 11 décembre 2019 2 en considérant que l’employeur doit informer et consulter le CSE quant à la mise en place du dispositif de contrôle des salariés quand bien même le contrôle n’en est pas la finalité première et exclusive.
Pour rappel, le défaut de consultation du CSE fait encourir à l’employeur un risque de condamnation pénale pour délit d’entrave.
L’encadrement par le RGPD
L’entrée en vigueur du RGPD est venue compléter les dispositions du Code du Travail et, de fait, apporter une protection supplémentaire à la vie privée des salariés.
- Article 30 du RGPD : le responsable de traitement (ici, l’employeur) doit tenir un registre des activités de traitement. Tout dispositif de contrôle impliquant un traitement de données personnelles des salariés doit apparaître dans ce registre 3.
- Article 35 du RGPD : obligation pour le responsable de traitement d’effectuer une analyse d’impact lorsqu’un traitement de données personnelles est susceptible « d’engendrer un risque élevé pour les droits et libertés des personnes physiques » 4.
- La CNIL précise que cette analyse est nécessaire pour les traitements visant à surveiller de manière constante l’activité des employés concernés, considérés comme « vulnérables ».
Par exemple, la mise en place d’un dispositif de vidéosurveillance nécessite une analyse d’impact préalable.
- Articles 12 et 13 du RGPD : obligation de transparence pour informer les salariés :
- Finalités poursuivies
- Base légale (ex. intérêt légitime de l’employeur)
- Identité du responsable de traitement
- Identité des destinataires des données
- Durée de conservation des données
- Droits d’opposition, d’accès et de rectification
- Possibilité d’introduire une réclamation auprès d’une autorité de contrôle
La marge de manœuvre de l’employeur dans la mise en place d’outils de contrôle
Plusieurs dispositifs peuvent être mis en œuvre par l’employeur afin de contrôler l’activité des salariés sur le lieu de travail. La CNIL et la jurisprudence en droit du travail ont précisé à plusieurs reprises cette marge de manœuvre.
L’interdiction formelle d’outils de surveillance permanente
Même si l’employeur a le droit de contrôler l’activité des salariés, il lui est interdit de les placer en situation de surveillance permanente. La CNIL rappelle que certains dispositifs sont fortement intrusifs.
Sont interdits :
- Surveillance constante via dispositifs vidéo, notamment en demandant aux salariés de garder leur caméra activée
- Utilisation de keyloggers pour enregistrer frappes et mouvements de souris
- Contrôle excessif des connexions internet
L’utilisation d’internet à des fins personnelles doit rester raisonnable et ne concerner que des sites dont le contenu est légal.
La Cour de cassation rappelle que les connexions personnelles abusives pendant le temps de travail peuvent constituer une faute grave, justifiant un licenciement.
Pour la sécurité des données, un logiciel de filtrage peut restreindre la navigation et bloquer l’accès aux sites non autorisés.
Le contrôle des e-mails
- Les e-mails reçus sur la boîte mail professionnelle peuvent être consultés, sauf s’ils sont identifiés comme « personnels ».
- L’employeur ne peut accéder aux e-mails de la boîte électronique personnelle, même s’ils ont été rédigés sur l’ordinateur professionnel 5.
Le recours à la vidéosurveillance
- Doit respecter le Code du Travail et le RGPD
- Information claire aux salariés (affichage obligatoire)
Limitations :
- Caméras limitées aux entrées/sorties, issues de secours, zones de stockage de biens de valeur
- Interdiction de filmer : postes de travail (sauf cas particuliers), zones de pause/repos, toilettes, locaux syndicaux
- Durée de conservation maximale : 1 mois
Conclusion
Le contrôle de l’activité des salariés est un levier légitime pour l’employeur, notamment afin de garantir la sécurité des données personnelles et la continuité de l’activité de l’entreprise. Toutefois, ce pouvoir de contrôle ne peut s’exercer sans limites. Le Code du Travail et le RGPD imposent un cadre strict, fondé sur les principes de proportionnalité, de transparence et de respect de la vie privée des salariés.
La mise en place d’outils de contrôle doit ainsi répondre à un objectif clairement identifié, être justifiée par les risques encourus et s’accompagner d’une information complète des salariés et des instances représentatives du personnel. En conciliant exigences de sécurité et protection des droits fondamentaux, l’employeur s’inscrit dans une démarche de conformité durable et renforce la relation de confiance avec ses collaborateurs.