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La loi de vigilance : la nécessité d’une harmonisation européenne

Retour sur les points clés de la directive européenne relative au devoir de vigilance.

by Linda Couturier Sadgui 4 min

    En 2013, 1 135 personnes travaillant pour des marques françaises de l’industrie textile sont décédées dans l’effondrement de l’immeuble Le Rana Plaza questionnant sur les conditions de travail des sous-traitants des entreprises françaises. Pour y remédier le législateur français a promulgué le 27 mars 2017 la loi n° 2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, dite « loi sur le devoir de vigilance ».


    Le devoir de vigilance : d’une prise de conscience nationale…

    Le devoir de vigilance français consiste en une obligation pour les entreprises de respecter une norme de diligence raisonnable lors de l’accomplissement d’actes avec les tiers susceptibles de porter préjudice à autrui. Ne sont concernés que les grands groupes ayant un effectif de 5 000 salariés en France ou 10 000 salariés dans le monde, ce qui équivaut approximativement à 250 sociétés en France. En pratique, les sociétés doivent élaborer un plan de vigilance identifiant les risques et prévenant les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans leur sphère d’influence. Cependant, le texte a été retoqué par le Conseil constitutionnel et la sanction de 10 millions d’euros prévue initialement a été supprimée du texte. Il n’en demeure pas moins que le devoir de vigilance est contraignant et qu’une entreprise pourrait se voir enjoindre par un juge, sous astreinte, à publier et mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance en cas de manquement. TotalEnergies est d’ailleurs la première société française assignée, après une bataille judiciaire qui a tenu en échec le géant pétrolier face à plusieurs associations et collectivités sur plan procédural ; à savoir déterminer la compétence du tribunal judiciaire et non celle du tribunal de commerce…

    Dans la foulée de cette initiative française, d’autres pays européens comme l’Allemagne, l’Autriche, la Suède, la Finlande, le Danemark et le Luxembourg, ont à leur tour adopté ou envisagent d’adopter une loi semblable à la loi vigilance française pour améliorer la situation internationale des droits humains et la protection de l’environnement.

    Qu’est-ce que le devoir de vigilance (Vidéo)?

    …à une réaction européenne

    En réponse aux problématiques de concurrence déloyale pour les sociétés non soumises au devoir de vigilance par rapport à celles qui le sont, et aux enjeux internationaux de protection des droits humains et de préservation de l’environnement, le Conseil et le Parlement européen ont affirmé leur volonté d’instaurer une loi vigilance concernant l’ensemble des sociétés au-delà d’un certain seuil présentes au sein de l’Union en 2020 et 2021.

    La proposition de directive permet à l’Union d’agir sur la scène internationale pour le respect de ses engagements internationaux en matière de protection des droits de l’Homme et de promotion du développement durable notamment dans le cadre du commerce international.

    Un an après cette résolution, la Commission européenne a adopté une proposition de directive qui permet d’uniformiser le paysage législatif européen et de rééquilibrer les sociétés entre elles. L’objectif poursuivi est de « favoriser un comportement durable et responsable des entreprises tout au long des chaînes de valeur mondiales ». Cette adoption constitue un changement de paradigme par rapport aux normes volontaires et l’autorégulation qui prévalaient jusqu’ici pour parvenir à des « améliorations à grande échelle difficiles à obtenir au moyen de mesures volontaires ».

    Un grand nombre de sociétés concernées par le devoir de vigilance

    La directive européenne sur le devoir de vigilance s’installe dans le paysage législatif de manière progressive.

    Dans un premier temps seront concernées les sociétés à responsabilité limitée employant au moins 500 personnes et ayant un chiffre d’affaires supérieur à 150 millions d’euros dans le monde. Par la suite, les obligations s’étendront aux sociétés à responsabilité limitée exerçant plus de la moitié de leurs activités dans des secteurs à fort impact (industrie textile, agriculture, et extraction de minerais) employant 250 personnes et ayant un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros dans le monde. S’agissant des sociétés ayant leur siège dans des pays en dehors de l’Union européenne, elles seront soumises au devoir de vigilance dès lors qu’elles répondent aux seuils et que leur chiffre d’affaires est constitué au sein de l’Europe.

    Le champ d’application de la directive européenne sur le devoir de vigilance est conséquent, faisant passer le nombre de sociétés concernées de 263 sous la loi vigilance française à 13 000 grâce à la directive européenne (dont 4 000 dans des pays non européens), permettant d’agir à plus grande échelle.

    Un contenu familier

    À l’instar de la loi française, la proposition de la Commission prévoit de contraindre les entreprises à mettre en place des mesures de prévention des atteintes aux droits humains et à l’environnement commises par leurs filiales, leurs fournisseurs et leurs sous-traitants directs et indirects.
    Les sociétés soumises au devoir de vigilance européen en matière de durabilité doivent :

    • intégrer le devoir de vigilance dans les politiques ;
    • recenser les incidences négatives réelles ou potentielles sur les droits de l’Homme et l’environnement ;
    • prévenir ou atténuer les incidences potentielles ;
    • mettre un terme aux incidences réelles ou les réduire au minimum ;
    • établir et maintenir une procédure de réclamation ;
    • contrôler l’efficacité de la politique et des mesures de vigilance ; et
    • communiquer publiquement sur le devoir de vigilance.

     

    En définitive, ces obligations sont semblables à celles de la loi vigilance française qui impose une cartographie des risques, des procédures d’évaluation des tiers, des actions d’atténuation des risques, un mécanisme d’alerte et un dispositif de suivi des mesures.

    Des obligations nouvelles

    La proposition de directive comporte une obligation environnementale selon laquelle les sociétés du groupe 1 doivent disposer d’un plan permettant de garantir que leur stratégie commerciale est compatible avec la limitation du réchauffement planétaire à 1,5 °C conformément à l’accord de Paris.

    La proposition de directive comporte une autre nouveauté relative à la rémunération des dirigeants afin que le devoir de vigilance occupe une place non équivoque dans le fonctionnement de la société. Les administrateurs doivent donc mettre en place et superviser la mise en œuvre du devoir de vigilance pour s’acquitter de leur obligation d’agir dans le meilleur intérêt de la société. De plus, lorsque leur rémunération est variable, leur contribution à la lutte contre le changement climatique sera encouragée par l’octroi de bonus.

    L’ensemble de ses obligations est conditionné à une obligation de moyens, de sorte qu’il est imaginable que la société doive prouver l’ensemble des actions qu’elle a mis en œuvre pour parvenir à ces objectifs en cas de manquements reprochés.

    En pratique, il n’y aura pas de changement significatif pour les sociétés déjà soumises au devoir de vigilance français.

    Une approche pédagogique

    La proposition prévoit des mesures d’accompagnement pour toutes les sociétés, même les PME non soumises, telles que le développement de sites web ou de plateformes, un éventuel soutien financier, ou des clauses contractuelles proposées par la Commission. Pour les quelques sociétés françaises déjà soumises au devoir de vigilance, leur quotidien ne changera pas considérablement, mais la directive permet de rééquilibrer et d’harmoniser les obligations en matière de vigilance des sociétés européennes. Une harmonisation nécessaire pour donner les moyens à l’ensemble des acteurs économiques d’avancer de concert et collectivement plus loin dans la vigilance des entreprises donneuses d’ordre sur le plan des droits humains et environnementaux.

    Un régime contraignant

    La proposition de directive prévoit que les Etats désignent des autorités administratives nationales chargées de contrôler le respect des dispositions et pouvant infliger des amendes en cas d’infraction. Outre ce risque d’amende, les victimes auront également la possibilité d’intenter une action en justice pour les dommages survenus à la suite d’une vigilance inappropriée. De cette hypothèse, et comme le régime français, il conviendra de démontrer un manquement aux obligations de vigilance résultant du texte et un dommage que l’exécution de ces obligations aurait permis d’éviter.

    Par ailleurs un réseau européen d’autorités de contrôle facilitera et assurera la coordination et l’alignement des pratiques en matière de réglementation, d’enquête, de sanction et de contrôle.

    Next step ?

    Cette proposition de directive est actuellement soumise à l’approbation du Parlement européen et du Conseil. En cas d’adoption de la directive, un délai de deux ans sera accordé aux États membres pour la transposer en droit interne.

    En savoir plus:
    legifrance.gouv.fr
    actu-environnement.com

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    Linda Couturier Sadgui
    Linda Couturier Sadgui

    Head of Marketing Communications – EQS Group | Linda possède 20 ans d’expérience en marketing et communication B2B dans le secteur des services financiers et de l’information dont 14 ans au niveau paneuropéen. Avant de rejoindre EQS Group en mars 2018, Linda a occupé les fonctions de Head of Marketing Communications Strategy EMEA chez Euronext, Thomson Reuters puis Nasdaq. Linda est diplômée d’un Master en Marketing de PSB Paris School of Business (Ex ESG Management School).

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